Docteur Fernandez : "Aujourd’hui, on se doit d’adapter la prothèse mammaire à notre patiente et pas l’inverse"
Nous retrouvons le Docteur Jonathan Fernandez, chirurgien plasticien exerçant à Nice ayant pour domaines de prédilection les prothèses mammaires et la greffe capillaire. Le Docteur répond à nos questions sur l'évolution des prothèses mammaires au fil des années, leur conception, leur action dans le corps, leur avenir…
Bonjour Docteur, nous allons aujourd'hui parler avec vous de l'évolution des prothèses mammaires. Pourriez-vous nous présenter rapidement les différents types de prothèses mammaires proposés aujourd'hui sur le marché et nous expliquer la composition d'une prothèse mammaire ?
Trois points majeurs sont à prendre en compte : la forme, la projection et la texturation de la prothèse.
Les prothèses mammaires, aujourd’hui proposées, sont quasiment toutes en gel de silicone : ces gels en silicone n’ont strictement rien à voir avec les gels utilisés à l’époque ou ceux qui ont pu être décriés lors de l’affaire PIP. Ces gels sont plus cohésifs et plus sûrs. Certains laboratoires proposent encore des prothèses en sérum (avec de l'eau) mais cela reste très minoritaire. Les gels actuels sont de plus en plus souples, permettant un aspect de plus en plus naturel.
Les enveloppes de prothèses sont également toutes en silicone. Les prothèses peuvent être rondes ou anatomiques (en forme de poire). Bien entendu avec l’évolution des gels, on a vu apparaître sur le marché des prothèses rondes se comportant un peu comme des prothèses anatomiques ; en mettant la prothèse droite, elle retrouve une forme de poire avec différentes hauteurs.
Un travail est ensuite fait sur la texturation. L’enveloppe de la prothèse peut, en effet, être lisse, un peu granuleuse (nano ou microtexture) ou très granuleuse (macrotexture). Il existe également une enveloppe un peu plus spécifique faite de polyuréthane médical, permettant d’avoir une « accroche » de la prothèse.
À l’heure actuelle, 99 % des prothèses en silicone présentes sur le marché peuvent être rondes ou anatomiques avec des texturations différentes.
Comment évolue l'implant dans le corps ? L'accroche de l'implant reste-t-elle la même au fil des années avec les prothèses actuelles ?
C’est vraiment tout le travail à l’heure actuelle. À partir du moment où nous mettons un implant dans l’organisme (mammaire ou autre) une enveloppe protectrice va se former et entourer l’implant. Dans certains cas, cette enveloppe peut s’épaissir et créer une contraction capsulaire ce que nous appelons, plus classiquement, une coque. Il est certain qu’une prothèse dans l’organisme va vivre et bouger.
Est-il vraiment nécessaire d’avoir une accroche de la prothèse ? Cela dépend des cas ! Ce qui est primordial, c’est de faire une loge prothétique sur-mesure. Qu’elle ne soit ni trop grande ni trop petite. Si elle est trop petite, la prothèse fera des plis, si elle est trop grande, la prothèse bougera.
Dans des cas précis, nous aurons besoin d’une certaine accroche. Quand la prothèse accroche, la science montre que nous diminuons le risque de contraction capsulaire. Pour des patientes qui ont eu des coques à répétition, nous allons donc chercher une accroche plus importante. C’est le même cas de figure pour les patientes qui ont perdu du poids avec le thorax très large, des loges très grandes : dans ces cas-là, possiblement, des prothèses qui accrochent auront alors un intérêt. Il faut faire du « sur-mesure », du cas par cas.
Avec ces nouvelles prothèses mammaires, y-a –t-il également des avancées du point de vue de l'acte chirurgical ? Je pense par exemple aux cicatrices, est-il possible d'en éviter dans certains cas précis ?
Oui, c’est effectivement le cas grâce aux gels qui sont de plus en plus en souples. Le fait que ces gels soient très souples, va permettre de diminuer la taille des incisions. Le but étant toujours de minimiser les cicatrices qu’elles soient péri-aréolaires, axillaires ou sous-mammaires.
Dans certains cas il est même possible de réaliser des mastopexies (lifting du sein) par voie interne ! Associées à une prothèse très projetée, ces techniques permettent d’éviter les cicatrices verticales et horizontales sur le sein.
On a toujours cette rançon cicatricielle mais nous faisons le maximum pour la minimiser.
Avec l'avancée des technologies faut-il encore changer ses prothèses tous les 10 ans ?
Quand nous disons 10 ans, c’est une moyenne. Certaines patientes portent les mêmes prothèses depuis 13 ou 14 ans.
À partir de 10 ans, l’enveloppe prothétique, commence à s’user. Si au bout de 10 ans, après mammographie et échographie, la prothèse est saine, nous ne la changeons pas. Il suffit simplement d'effectuer des contrôles annuels. À l’époque, les gels n’étaient pas très cohésifs. Si la prothèse craquait, tout se vidait, aujourd’hui ce n’est plus le cas.
Mais il est certain que l’on ne vit pas toute sa vie avec une prothèse mammaire : il faudra la changer à un moment donné.
Est-il correct d'affirmer aujourd'hui que l'on peut faire du sur-mesure, choisir la prothèse en fonction de la patiente et non l'inverse ?
Oui, c’est effectivement le cas.
L’industrie propose un panel de prothèses important.
Nous pouvons effectivement faire du « sur-mesure ». Nous pouvons choisir la forme, la taille, la texture, la cohésivité et la projection que nous désirons. Nous devons adapter nos implants à nos patientes. En effet, nous choisirons une prothèse différente pour une patiente ayant perdu du poids ou ayant allaité par rapport à une jeune femme mince ou nullipare.
Comment choisir la prothèse ? Il est nécessaire que celle-ci soit adaptée au thorax de la patiente : largeur, hauteur et projection. De plus, il est primordial de bien examiner le thorax de ses patientes (aspect en « entonnoir », creux sternal…) Le choix de la « bonne » projection est important : dans certains cas il sera nécessaire de projeter le sein (petite ptose mammaire, seins vidés) alors que dans d’autres nous ferons attention de ne pas mettre une prothèse trop projetée afin d’éviter un aspect « anti-naturel », trop bombé dessus. Le but est de choisir la bonne prothèse en fonction des possibilités chirurgicales et du désir de la patiente.
Est-ce que l'on recherche tous le Naturel justement ?
En général, les patientes veulent un résultat naturel. Cependant, il est nécessaire que le résultat se remarque voire se voit dans certains cas. Le but de cette chirurgie est d’améliorer le résultat esthétique de la poitrine, bien entendu, mais également de la silhouette. De plus, cette intervention permet « d’améliorer » la féminité de certaines patientes.
Cependant à l’heure actuelle, la génération des Milleniums change un peu la donne. En effet, sous l’impulsion des réseaux sociaux et de certains programmes de télévision, les jeunes patientes désirent des résultats plus voyants, des seins plus volumineux, des silhouettes plus pulpeuses.
Qu'est-ce qu'un sein naturel ?
Un sein prothétique reste un sein prothétique mais avec l'évolution des prothèses, les résultats sont de plus en plus impressionnants, de plus en plus naturels. Un sein naturel est un sein avec un joli galbe interne (le décolleté) et un joli galbe externe. Le rendu doit être beau quand on met un sous-vêtement. La partie inférieure du sein (le segment III), entre l’aréole et le sillon sous mammaire doit être bien remplie ; le segment II (partie supérieure du sein) doit être légèrement bombé sans que l'effet ne fasse "bimbo". C’est pour cela que beaucoup de patientes parlent de prothèses anatomiques. Cependant nous avons aujourd’hui des prothèses rondes qui se comportent comme des anatomiques. Ceci permet de réduire les conséquences d’une rotation prothétique. En effet, lorsqu’une prothèse anatomique tourne, le sein peut changer de forme (forme de poire inversée) ce qui ne sera pas le cas avec une prothèse ronde.
On parlait du cas de la France, Docteur, mais est-ce que l’on recherche le naturel partout ?
En France, nous avons la chance d’avoir la French Aesthetic Touch : nous recherchons l’élégance et le naturel même si évidemment, on s’adapte à notre société. Prenons l'exemple des injections pour les lèvres : les patientes de 35-45 ans veulent généralement un résultat discret alors que les patientes plus jeunes de 18 à 25 ans veulent des lèvres volumineuses.
Chaque pays a une vision de l’esthétique qui lui est propre. Aux Etats-Unis, la médecine et la chirurgie esthétique sont des indicateurs sociaux : de ce fait, il faut que cela se voit. En France, on veut du discret, aux Etats-Unis, cela doit se voir. Le Liban et le Brésil, qui sont des pays très consommateurs de chirurgie esthétique, n’ont pas les mêmes critères esthétiques également.
Vous avez créé une prothèse avec votre associé le Docteur Charles Volpei. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? J'imagine que cela doit être passionnant pour un chirurgien de pouvoir créer lui-même le produit qu'il va utiliser. Qu'avez-vous souhaité améliorer concernant les prothèses sur le marché ?
Mon associé, le Docteur Charles Volpei travaille depuis de très nombreuses années dans le domaine de la chirurgie mammaire et notamment sur les prothèses texturées. Au début des années 2000, de nombreuses prothèses macrotexturées (avec texturation dite « agressive ») ont été posées. Cependant nous avons constaté l’apparition de nombreuses complications en lien avec celles-ci. Dans les congrès internationaux, cela commençait même à faire du bruit.
Nous avons donc réalisé une étude statistique de grande ampleur ainsi qu’une étude au microscope électronique (en collaboration avec la faculté de science de Nice) sur ces prothèses. D'après les résultats de notre étude, nous en avons déduit que la prothèse macrotexturée était quelque peu agressive. Le but princeps de ces prothèses est de permettre une véritable accroche prothétique appelé effet « velcro ». Cette accroche permet de diminuer les risques de rotation de la prothèse ainsi que la formation de coques. Cependant, l’accroche de ces prothèses est trop « agressive » : en effet, en s’accrochant devant et derrière, la prothèse et la capsule sont soumis à des forces importantes. Deux cas peuvent donc se présenter :
- Des forces de contractions antérieures et postérieures vont tirer sur la prothèse qui va s’user trop vite : elle se rompt alors et il y a rupture prothétique.
- La prothèse tient le coup, c’est l’enveloppe qui petit à petit commence à se déchirer. On se retrouve avec une double capsule et un risque de sérum tardif.
Lors de notre étude, nous avons examiné les résultats de patientes opérées qui avaient d’un côté un problème et de l’autre un sein parfait.
Quand le sein était parfait, la prothèse avait accroché devant mais était complètement décrochée derrière. C'est comme cela que nous avons réfléchi à une prothèse avec une accroche antérieure seule, l'idée étant de revenir à un sein naturel, un sein « natif ». En effet, la partie antérieure du sein natif est accrochée à la peau (crêtes de Duret) alors que la partie postérieure de la glande mammaire présente un espace de glissement en avant du muscle grand pectoral (espace de Chassaignac).
Ceci est encore un projet car le marquage européen est extrêmement compliqué à avoir. Mais cela est en cours ! Il est certain que cela est passionnant, en tant que chirurgien, de pouvoir « créer » des outils adaptés à ses convictions, à ses désirs. En attendant, nous avons d’excellents produits sur le marché. Ce qui est intéressant, c’est de faire évoluer les implants : il faut continuer dans ce sens pour diminuer les risques et les complications !
Y a-t-il des prothèses et implants que vous préférez à d'autres ? Travaillez-vous en collaboration avec différents laboratoires afin de mettre au point de nouveaux produits ?
À l’heure actuelle, je ne travaille pas avec un seul laboratoire, mais plusieurs pour justement choisir la prothèse sur-mesure : cela me permet d’avoir un panel de prothèses différentes et de choisir la bonne prothèse pour la patiente. Pour le choix de la prothèse et du laboratoire, je pense que c’est une sensibilité propre à chacun. Aujourd’hui, on se doit d’adapter notre prothèse à notre patiente et pas l’inverse. Chaque laboratoire va avoir des avantages, des inconvénients : il faut s’adapter.
Nous travaillons avec des laboratoires français, anglais, allemands… Le but, c’est d’avoir confiance en ces prothèses et de rechercher la qualité. Travailler à l'élaboration d'une prothèse m'a évidemment permis de bien choisir mes prothèses. Cela demande beaucoup de travail de bien connaître les gammes de prothèses.
Quel est l'avenir de l'implant mammaire ? Quelles sont les évolutions à venir ? Où est la place du lipofilling dans tout cela ?
Le lipofilling mammaire est une merveille, j’en fais beaucoup ! Les choses ont tellement évolué concernant les techniques de prélèvement, de préparation et de réinjection de la graisse. On arrive à optimiser nos injections et à avoir des résultats extraordinaires.
Cependant à l’heure actuelle, le lipofilling mammaire ne donne pas le même résultat qu’une prothèse. Dans le cas où le sein « tombe » légèrement ou s’il est « vidé », le lipofilling ne permettra pas une projection optimale notamment dans le temps. En effet, une partie de la graisse va se résorber, le résultat va se naturaliser et la projection diminuer. Il est essentiel de bien choisir ses indications de lipofilling mammaire. Cependant, lorsque l’indication est parfaite, les résultats sont naturels et bluffants !
L’avenir, c’est l’augmentation mammaire composite : à l’heure actuelle c’est 80% de mes augmentations mammaires. Nous mettons en place une prothèse mammaire (ronde en général), devant ou derrière le muscle, puis on travaille sur des segments particuliers avec de la graisse afin de modeler le sein. Nous travaillons essentiellement au niveau du décolleté ainsi que dans la partie externe du sein afin de couvrir au maximum la prothèse. Cela permet d’avoir le résultat naturel du lipofilling avec les avantages d’une prothèse mammaire.
Quant à l’avenir de l'implant, on reste sous le coup des pouvoirs publics. L’interdiction des prothèses peut arriver un jour. C’est déjà arrivé dans le temps. C’est pour cela que nous continuons de travailler sur celles-ci afin de les améliorer.
Une dernière chose que j'aimerais souligner : la mise en place de prothèses mammaires n’augmente pas le risque de développer un cancer du sein. Avant toute intervention, un bilan mammaire complet est réalisé. De même un suivi régulier est primordial. Nous n’avons pas le droit de prendre de risque en esthétique.
Nous tenons à remercier chaleureusement le Docteur Fernandez qui a pris le soin de répondre à toutes nos questions avec beaucoup de gentillesse et de pédagogie.